Ça arrivait de temps en temps. Au milieu de la nuit, quelqu'un venait tambouriner à sa porte, et Aël se retournait entre ses draps, rampait sous son coussin, espérant se rendormir, sachant qu'il était
déjà réveillé et que son cerveau insultait désespérément les importuns. Il se glissait hors de son lit, en turban et pantalon bouffant tout débraillé, et ouvrait la porte. Et là il tombait un homme pressé, qui le choppait par le col et lui grognait des ordres venant d'Anastase ou d'une autre figure éminente du Triumvirat. Une fois tous les deux mois en fait, on s'imaginait qu'il manquait cruellement de stock, et on le balançait dans un train pour aller en gare faire les marché et se tenir au courant des dernières techniques de médecine. Comme si le milieu évoluait si rapidement. Cette nuit là, il embarquait dans le Velvet, enfin pour ce qu'il en avait à faire... Le raid visait les nomades cette fois et au passage on le balancerait plus ou moins près de la Gare Centrale. Il s'était surtout trouvé un coin où se rouler en boule, autour de sa besace cabossée, et se rendomir, bercé par les cahots du train. Train qu'on avait à peine ralenti pour qu'il descende et il prit même les pieds dans les marches, sur les sourires plus ou moins railleurs des machinistes. Ha et le soleil se levait à peine... au moins la Gare se profilait au loin.
Le temps qu'il atteigne la Gare en vrai, il n'était même pas le premier arrivé. De toute façon ça aurait éveillé les soupçons non ? Aël enfouit son visage dans ses mains, momentanément étourdi par le mouvement des quelques passants et les couleurs des étalages. Il s'approcha d'une fontaine discrète pour rajuster le tissus dans ses cheveux, épier ses cernes, soupirer un grand coup, et y faire barboter sa main un peu. Le genre de choses inutiles qu'il ne se permettait pas en temps normal. Mais là ça allait, il était loin de toute surveillance, de toute culpabilité. Finalement heureusement qu'on l'envoyait en ravitaillement de temps en temps, ça le faisait au moins sortir. Oui parce que,
en fait, l'envoyer ici acheter trois herbes au marché c'était aussi utile que lancer un verre d'eau dans la mer. Enfin le geste n'en n'était pas moins mignon. Il dépassa d'un pas pressé les étalages de poissons, ralentit fortement devant de longues tables couvertes de tissu chatoyants, hésita un instant avant d'y plonger les mains. Il avait chez lui une écharpe en soie de la gare du Sud, il s'était promis d'aller un jour y faire un voyage, ne serait-ce que pour voir les éblouissantes pièces qu'il pourrai y trouver. Le vendeur tenta d'engager la conversation et Aël s'éloigna automatiquement, un sourire vachement désolé flottant sur les lèvres. Et ouais mon petit, t'es un pirate. Mais si on lui demandait il se prétendrait nomade, forcément. Et en attendant il commençait à se concentrer sur les plantes séchées bien moins attractives que la soie brillante.
Il plissa le nez de dédain en dépassant un premier étalage. Pfuh de la bétoine il en avait par dessus la tête à la
maison. Comme il s'y attendait il y avait très peu de choses ici qu'il n'avait pas, et rapidement il se retrouva plutôt à fouiller des piles de livres, cherchant le bouquin de ses rêves ; un hypothétique relié de cuir contenant toutes les informations sur les plantes de Nulle-Part, avec des gravures, et les mélanges possibles à partir de ces végétaux. Un doux rêve en vérité.
Après avoir dérangé quelques bouquinistes ses yeux s'attardèrent sur un nouvel étal, auquel quelqu'un était en train de réaliser une transaction. Et -hoooo- intéressant.
Ça en revanche il en manquait. Il lui restait des fonds de lotion qu'on préparait avec cette plante mais bien peu. Une plante aussi utile, il allait certainement se faire arnaquer. Le pauvre était une douce truffe en marchandage, ce n'était pas faute de tenter d'apprendre. Il fallait dire aussi qu'il ne payait pas avec son propre argent, c'était le Triumvirat qui lui en passait un peu alors...
Ce qui devait être une affaire rapidement menée se compliqua quelque peu quand une autre main vint squatter les tiges avec la sienne. Je. Mais. Quoi. HEIN ? Il jeta un oeil à son opposant. Le moins qu'on pouvait dire c'est qu'il ne se faisait pas dominer par sa stature. Il sourit et insista en tirant légèrement sur la plante pour l'inciter à lâcher prise. Juste l'inciter, il ne voulait pas abîmer les feuilles qu'il allait payer.
- Excusez-moi, dit-il après une rapide réflexion, histoire d'accentuer un peu le malaise.
Et si ça ne marchait pas il ne voyait pas comment lui faire lâcher prise. Le frapper peut-être ? Ha, son environnement lui déteignait dessus. Il ne pouvait pas faire ça ! Et même s'il l'avait voulu de toute façon, sa Musculature ne suffirait pas à assommer un enfant. Alors bon. Et puis soudain une idée de génie.
- Je. J'en ai besoin, je suis médecin.
C'était FAUX, archi-faux. Le vieux lui répétait bien assez souvent qu'il n'était pas médecin, à grand renforts de taloches. Et Aël se l'était bien mis dans le crâne, et de toute façon il n'aurait voulu prétendre à ce titre pour rien au monde, même infirmière il ne voulait pas. Non lui était apothicaire, ça valait ce que ça valait mais au moins il n'approchait pas les plaies et autres facture ouvertes qui le faisaient défaillir. Mais là c'était un
détail, parce que dans le contexte, pharmacien, docteur, aroma-thérapeuthe, c'était
pareil. Et il soutint le regard de l'autre, même pas peur !